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Caroline Le Bot

1973-2022 : retour sur l’évolution du droit à l’avortement aux États-Unis.

Le 24 juin dernier, la Cour Suprême des États-Unis a mis fin à la protection constitutionnelle du droit à l’avortement, établie depuis 1973.

Le droit à l’avortement était depuis quelques temps remis en cause aux États-Unis, notamment sous l’impulsion des conservateurs.

La nomination de 3 juges conservateurs à la Cour Suprême par Donald Trump a permis aux conservateurs de prendre la majorité au sein de la Cour.


La Cour Suprême est en effet composée de 9 juges dont 6 sont conservateurs et ont été nommés par des présidents républicains au cours de leurs mandats. Malgré une contestation de la population, la Cour est revenue sur une décision de 1973 ayant institué une protection universelle du droit à l’avortement dans tous les États américains Ce droit n’est donc plus désormais un droit commun à tous les États et chaque État dispose maintenant de la possibilité d’interdire ou non l’avortement. Cette décision n’est pas sans conséquences sur la survie du droit à l’avortement aux États-Unis.


Afin de mieux comprendre les impacts déjà notables de cette décision, un retour sur le fonctionnement fédéral américain et les pouvoirs de la Cour Suprême s’impose.


I) Le fonctionnement fédéral américain et les pouvoirs de la Cour Suprême.


La Cour suprême dispose d’importantes prérogatives (B) puisqu’elle est la plus haute juridiction des États Unis d’Amérique, lesquels fonctionnent selon une organisation politique fédérale (A).


A) Le fonctionnement fédéral des États-Unis.


Pour mémoire, il conviendra de rappeler que les États-Unis constituent la république d’Amérique du Nord. Composés de 50 États, les États-Unis sont d’anciennes colonies britanniques ayant pris leur indépendance le 4 juillet 1776, après le vote des treize colonies britanniques de la déclaration d’indépendance des États Unis d’Amérique.


Les États-Unis sont une démocratie fonctionnant selon une organisation fédérale. Plusieurs formes de fonctionnement étatique peuvent exister, on distingue notamment l’État fédéral et l’État Unitaire. La distinction réside dans le fait que dans l’État unitaire, la législation est la même sur tout le territoire et les subdivisions du territoire n’ont pas d’autonomie, alors que dans l’État Fédéral, chaque État fédéré dispose d’une législation et d’une autonomie propres. Ainsi par exemple la France est un État unitaire, les États-Unis d’Amérique ont quant à eux un fonctionnement étatique fédéral. La république d’Amérique du Nord est composée de 50 Etats, de plusieurs territoires et d’un district : le Washington district.


Aux États-Unis comme en France d’ailleurs, il existe trois pouvoirs : le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire En revanche, alors qu’en France, le terme « Gouvernement » désigne uniquement l’exécutif, aux États-Unis ce terme désigne les trois pouvoirs.

Le chef du gouvernement est le Président des États-Unis, dont la fonction a été établie après la ratification de la Constitution des États Unis en 1788. Le premier président à entrer en fonction fut Georges Washington, qui a exercé cette fonction de 1789 à 1792.

L’exécutif est composé du président des États-Unis, du vice-président et du cabinet du président. Le pouvoir législatif est détenu par le Congrès des États Unis, qui est composé de deux chambre : la chambre du représentant et la chambre du Sénat.

Le pouvoir judiciaire est quant à lui détenu par la Cour Suprême des États-Unis (B).


B) Les pouvoirs de la Cour Suprême des États-Unis.

La plus haute cour est la Cour suprême des États-Unis, qui est composée actuellement de neuf juges, dont huit juges assesseurs (Associate Justices) et un président (Chief Justice). La cour traite des questions se rapportant au Gouvernement fédéral, des différends entre États, de l’interprétation de la Constitution et de la conformité des lois à cette constitution et des actions du Gouvernement.


En dessous de la Cour suprême se trouvent les cours d’appel fédérales, puis les cours fédérales de district qui sont les tribunaux de première instance en ce qui concerne le droit fédéral. La Cour Suprême est le sommet du pouvoir judiciaire aux États-Unis et le tribunal de dernier ressort.


La Cour suprême est instituée par l’article 3 de la Constitution des États-Unis, qui autorise également le Congrès à instituer des tribunaux inférieurs, ce qu’il a fait. La Cour Suprême dispose de plusieurs pouvoirs : La Cour décide en première instance dans quelques cas : affaires impliquant un des États de l’Union, un État ou un diplomate étranger. Dans tous les cas, ses jugements sont sans appel. Son champ d’action principale est le contrôle de constitutionnalité des lois des États Unis d’Amérique ou celles des différents États fédérés. C’est-à-dire qu’elle vérifie la conformité des ces textes de lois à la constitution des États Unis d’Amérique, dont elle est l’interprète ultime.

Ce pouvoir de contrôle de constitutionnalité est appelé le « Judicial Review » et n’est pas explicitement mentionné dans la Constitution des Etats Unis d’Amérique. C’est en 1803 que la Cour Suprême s’attribue ce pouvoir, dans un arrêt Marbury vs Madison. Depuis, elle s’est progressivement imposée comme l’interprète de la Constitution des Etats Unis d’Amérique.


Si cette décision a pu faire l’objet de contestation, l’exercice du contrôle de constitutionnalité opéré depuis 200 ans par la Cour Suprême ne subit plus aucune contestation aujourd’hui.

Ce contrôle de constitutionnalité est fait a posteriori, de façon concrète et diffuse. Cela signifie qu’il a lieu après que la loi a été promulguée.

En effet, la constitutionnalité d’une loi n’est examinée qu’à l’occasion d’un cas particulier où l’application d’une loi fédérale ou d’un État fédéré soulève la question de sa conformité à la Constitution.

Il est alors possible que la loi soit jugée totalement ou partiellement inconstitutionnelle. La décision de la Cour s’applique aux parties à l’affaire jugée. La loi en question est donc inapplicable au cas d’espèce mais elle n’est pas abrogée par cette décision d’inconstitutionnalité. Cependant, elle constitue un précédent que les autres tribunaux doivent appliquer ce qui rend par conséquence la loi inapplicable.


Le principe du précédent veut que les décisions des juridictions de degré supérieur fassent jurisprudence et s’appliquent aux juridictions de degré inférieure. La jurisprudence étant l’ensemble des décisions qui ont été rendues sur une question juridique donnée.


Enfin, le contrôle est diffus, ce qui signifie que tous les tribunaux, qu’ils soient fédéraux ou d’État, et non pas seulement la Cour suprême, peuvent examiner la constitutionnalité d’une norme juridique.

Ce type de contrôle de constitutionnalité s’oppose à celui opéré par la plupart des pays européens. Le modèle européen se caractérise avant tout par un contrôle centralisé, c’est-à-dire relevant de la compétence d’une seule juridiction constitutionnelle et non de tous les tribunaux.


Dans la plupart des pays, le mode privilégié d’examen de constitutionnalité est la question préjudicielle : le juge ordinaire peut saisir le juge constitutionnel s’il a un doute sur la constitutionnalité d’une loi qu’il est amené à appliquer.


En France, depuis la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, le contrôle de constitutionnalité des lois s’opère de deux façons :


D’une part par un contrôle a priori du Conseil Constitutionnel, qui est la juridiction française chargée du contrôle de la constitutionnalité des lois. Ce contrôle s’opère suite au vote d’une proposition ou d’un projet de loi par le parlement et donc avant sa promulgation. Il s’agit donc ici d’un examen abstrait et centralisé du texte de loi. Ce qui est l’opposé du contrôle de constitutionnalité américain. Ce contrôle existe depuis l’entrée en vigueur de la constitution de la Vème république, le 4 octobre 1958.

D’autre part, le contrôle peut s’opérer par la question prioritaire de constitutionnalité, qui a été instituée par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008. Ce nouvel examen de constitutionnalité permet à toute personne partie à un procès de soutenir qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés constitutionnels.


Le contrôle de constitutionnalité peut donc désormais s’effectuer a posteriori et pour un texte de loi déjà promulgué et appliqué. C’est sur la base de ce pouvoir de contrôle de constitutionnalité que la Cour Suprême a le 24 juin 2022, avec l’arrêt Dobbs vs Jackson Women’s Health Organization, mis fin à la protection constitutionnelle du droit à l’avortement et rendu la liberté aux 50 États américains d’interdire l’avortement sur leur territoire (II)


II) Les conséquences de la récente décision de la Cour Suprême : Le retour de la liberté des États Fédérés d’interdire ou non l’avortement.

Par sa récente décision, la Cour Suprême a énoncé qu’aucune disposition spécifique de la constitution des États-Unis ne protégeait le droit à l’avortement.

Cette interprétation vient abroger la protection constitutionnelle du droit à l’avortement, protection qui avait était affirmée par cette même Cour Suprême le 22 janvier 1973 par l’arrêt Roe vs Wade qui a été par la même abrogé. Ainsi de 1973 à 2022, les Etats-Unis ont appliqué une protection constitutionnelle et donc universelle du droit à l’avortement sur tout le territoire des États-Unis (A) mais cette décision récente de la Cour Suprême marque un retour arrière et réinstaure le libre arbitre des États Fédérés en matière d’interdiction du droit à l’avortement (B).


A) La protection constitutionnelle de l’avortement aux Etats-Unis (1973-2022).

Avant 1973, il n’existait pas de protection constitutionnelle du droit à l’avortement pour les femmes américaines. Chaque Etat fédéré décidait de la politique à mener sur son territoire en matière d’avortement.

La Cour Suprême des Etats-Unis s’est penchée sur cette question, dans l’arrêt Roe vs Wade, rendu le 22 janvier 1973.

À l’origine de cet arrêt, il y a l’histoire d’une jeune femme américaine, « Jane Roe », ce pseudonyme destiné à protéger la véritable identité de la plaignante, Norma McCorvey. En 1969 Norma McCorvey est âgée de 22 ans et est enceinte pour la troisième fois. Elle souhaite mettre un terme à sa grossesse. Or, à cette époque les États américains sont libres d’interdire ou d’autoriser l’avortement. Norma McCorvey vit au Texas où la loi n’autorise l’avortement qu’en cas de mise en danger de la vie d’une femme enceinte.

La jeune femme est alors mise en relation avec deux avocates : Linda Coffee et Sarah Weddington. Ces deux avocats souhaitent contester la législation sur l’avortement au Texas. Norma devient alors leur cliente et leur plaignante pour mener leur action. Norma accouche de son troisième enfant en cours de procédure, qui sera placé à l’adoption. En 1970, les avocates de Norma McCorvey introduisent un recours contre Henry Wade, le procureur du district de Dallas, où Norma.

Le problème juridique en l’espèce posé était de savoir si la loi du Texas qui pénalisait l’avortement était conforme à la Constitution des États Unis d’Amérique qui protège la liberté individuelle et le droit à la vie privée contre toute loi, découlant du XIVème amendement de la Constitution.

Par 7 voix contre 2, la Cour décide que les lois du Texas sont incompatibles avec la Constitution des États-Unis, lorsqu’elles limitent la liberté des femmes à disposer de leur corps, en décidant de mener leur grossesse à terme ou d’y mettre fin (au cours du 1er trimestre). Cet arrêt n’évoque pas explicitement le droit des femmes américaines à l’avortement mais il a de facto entrainé une protection constitutionnelle du droit à l’avortement puisque la Cour décide que le droit à la vie privée s’entend de la liberté d’une femme de décider de poursuivre ou non sa grossesse.


Sur le fondement du droit constitutionnel à la vie privée, le droit à l’avortement s’est vu par la même offrir une protection constitutionnelle. Il convient cependant de souligner que cette protection offerte par la Cour Suprême n’était pas absolue.

En effet, si la Cour reconnaît le droit pour une femme de décider de poursuivre ou non sa grossesse sur le fondement du droit à la vie privée, cette liberté doit être contrebalancée par les intérêts de l’État fédéré dans la réglementation du droit à l’avortement comme la protection de la vie humaine ou de la santé des femmes. C’est ainsi que la Cour a détaillé ce qu’il convenait d’autoriser en fonction du premier, deuxième ou troisième semestre de grossesse. Le principe central de cet arrêt est que toute femme a droit à un interruption volontaire de grossesse tant que le fœtus n’est viable.

Cette décision a fait jurisprudence et s’est appliquée jusqu’en 2022 sur l’ensemble du territoire des États-Unis. C’est pourquoi 46 États sur 50 ont été contraints de changer leur législation sur l’avortement dont le Texas.

Aujourd’hui, l’abrogation de cet arrêt renvoie le pays à la situation d’avant 1973. Des modifications ont par ailleurs été apportées à la jurisprudence de la Cour entre 1973 et 2021.


La principale modification a été celle de l’arrêt Casey (Planned Parenthood vs Casey, 29 juin 1992), qui tout en maintenant le principe du non-obstacle à l’avortement, au nom du précédent, annule entièrement son dispositif de séquencements trimestriels et de considération sur la viabilité du fœtus.

Dans cet arrêt, la Cour suprême a reconnu aux États la possibilité de restreindre les modalités d’avortement. C’est ainsi que 487 lois fédérales ont été adoptées pour en réduire le champ d’application. Auparavant, de nombreux textes de lois des Etats fédérés ont ajouté des conditions au recours à l’avortement comme par exemple la Géorgie ou le Texas.

En 1976, le Congrès a adopté l’amendement Hyde interdisant le financement fédéral des avortements par Medicaid ou l’assurance maladie fédérale. En outre, plusieurs États ne disposaient plus de cliniques où l’on pratiquait l’interruption volontaire de grossesse.

Si plusieurs restrictions ont été apportées au droit à l’avortement depuis 1973, le principe du droit à avorter était parvenu à se maintenir jusqu’à la récente décision de la Cour Suprême.

Dans son récent arrêt du 24 juin 2022, la Cour Suprême a sonné le glas du droit à l’avortement en abrogeant les arrêts de 1973 et 1992 et en mettant fin à la protection constitutionnelle du droit à l’avortement. Désormais les États Fédérés retrouvent leur plein libre arbitre dans la politique qu’il souhaite appliquer sur leur territoire s’agissant du droit à l’avortement (B).

B) La liberté des Etats fédérés d’interdire ou non le droit à l’avortement.

Deux mois après la décision de la Cour Suprême, de nombreux États ont surfé sur la vague et abrogé ou durci le recours à l’avortement sur leur territoire. En effet, une dizaine d’États ont complétement aboli le droit à l’avortement quel que soient les circonstances.


Ainsi, l’Alabama, l’Arkansas, la Louisiane, le Mississippi, le Missouri, le Dakota du Sud, le Wisconsin ont déjà acté l’interdiction pure et dure de l’avortement. Au Texas, où l’avortement est actuellement interdit après six semaines de grossesse, une loi interdisant d’avorter sans aucune exception devrait prendre effet dans les mois à venir. Il en sera de même dans le Tennessee, le Wyoming ou encore l’Idaho.

Outre les États qui l’ont totalement aboli, le droit à l’avortement a été conservé par certains États mais avec un durcissement des conditions pour y recourir. Notamment le délai de gestation a été ramené à 6 semaines dans plusieurs États, alors qu’à ce stade la majorité des femmes ne connaissent pas leur état de grossesse. C’est par exemple le cas en Ohio ou en Géorgie et le projet est à l’étude en Caroline du Sud.


Les suites de ce phénomène de rétrogradation de la protection du droit à l’avortement devraient dépendre des élections à mi-mandat de novembre prochain où les membres du Congrès américain et certains postes de gouverneurs vont être renouvelés. L’obtention des postes par les démocrates ou les républicains devraient ouvrir la voie à davantage de protection ou de restriction. Par exemple, en Pennsylvanie, l’avortement n’est pas protégé mais le gouverneur s’est déjà opposé à toutes restrictions du droit à l’avortement. Cependant l’assemblée majoritairement républicaine pourrait voter des restrictions, voir interdire purement et simplement l’avortement.

A l’inverse, certains États continuent d’assurer la protection du droit à l’avortement sur leur territoire et ont même décidé de la renforcer.

A Rhode Island, qui est le plus petit État des États-Unis, l’avortement est sanctuarisé et le gouverneur a récemment adopté un décret pour protéger les femmes qui viendraient avorter dans cet État alors que cela est interdit dans leur État de résidence. C’est également le cas pour d’autre États comme le Nevada, Washington, la Virginie, l’Oregon, New York, le Nouveau Mexique, le Colorado ou encore le New Jersey.

Enfin, il est à noté que le 2 août dernier, les électeurs de l’État du Kansas ont voté pour garantir le droit à l’avortement. Bien que de nombreux États conservateurs aient déjà interdit l’avortement, Les électeurs de cet État pourtant conservateur, ont rejeté un amendement qui aurait supprimé le texte garantissant le droit à l’avortement dans la Constitution de l’État fédéral. Cet amendement aurait donc pu ouvrir la voie à un durcissement des conditions pour avorter ou à une interdiction. L’avortement restera donc autorisé jusqu’à 22 semaines de grossesse.

Afin de pallier ce mouvement tendant à mettre fin au droit d’avorter aux États-Unis d’Amérique, de grandes entreprises technologiques ou financières comme Deloitte, Tesla, Danone, Google, Amazon, Meta etc. ont assuré leur soutien total à leurs employés si ceux-ci étaient amenés à se rendre dans un autre Etat fédéral pour pratiquer un avortement.

La liste de ces entreprises ne fait qu’augmenter.

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